Avec cette longue et belle interview des parents de Carla Rapicano, l’AMSLF inaugure ici une nouvelle rubrique. De temps en temps, nous partirons à la découverte de ceux qui font le sport à Fréjus et à l’AMSLF. Des champions bien sûr, mais pas seulement. Il pourront être bénévoles, dirigeants, anonymes, “sportifs du dimanche“, mais avant tout Amsélistes. L’AMSLF vous souhaite une bonne lecture…

 

Du 6 au 10 octobre, Carla Rapicano, nageuse de la section Sports & Handicaps de l’AMSLF, a un rendez-vous bien particulier. Non, messieurs-dames, il ne s’agit pas du Roc d’Azur. La multi-championne du Monde et d’Europe quitte la Côte d’Azur et ses attaches fréjusiennes pour gagner la ville de Ferrara en Italie, hôte des European Trisome Games 2021, premiers du genre.
En Émilie-Romagne, Carla Rapicano est engagée sur deux distances à titre individuel (200 m papillon et 400 m 4 nages) et, avec ses copines du camp tricolore, sur les relais (4×50, 100 et 200 NL, 4×50 et 100 4 nages).

Mais délaissons pour une fois l’aspect purement sportif, laissons la nageuse faire sa compét’ et, une fois n’est pas coutume, choisissons de nous intéresser à Carla, la jeune femme de 26 ans, bien dans sa nage, bien dans sa vie, bien dans son sport.
Et, pour partir à la découverte de l’un des plus beaux palmarès de la natation française en sport adapté, bâti en l’espace d’une demi-douzaine d’années seulement, qui de mieux pour nous emmener sur cette route que se laisser conduire par Nadine et Jean-Marie, les parents de Carla. Pour une belle et émouvante interview à quatre mains…

Carla, porteuse Trisomie 21 mais surtout nageuse de haut niveau et l’un des fleurons du sport fréjusien et amséliste ! (photos © Justine Byra et Franck Cluzel)

Nadine, Jean-Marie, premièrement, comment allez-vous à quelques jours du départ de Carla pour le centre d’entraînement de l’équipe de France de natation à Vichy et un ultime stage avant les Euro Trigames (*) ? 

• Nadine : « … Ben pas très bien pour tout vous dire. Nous sommes particulièrement stressés car, pour la première fois qu’elle nage au plus haut niveau international, nous ne pouvons accompagner Carla sur la compétition.
• Jean-Marie : Du fait des consignes sanitaires, non seulement la compétition se déroule à huis clos, mais même la liste des accompagnateurs est très réduite. Aussi, connaissant Carla qui n’aime pas que ses habitudes soient ainsi bouleversées, et peut parfois être perturbée par un petit rien, nous ne savons pas comment elle va réagir…

 

♦ Et elle-même, comment le vit-elle ?

• N : Déjà, il y ce stage à Vichy où elle a ses repères. Ensuite, elle part avec Raphaël, son petit ami lui aussi sélectionné pour la compétition. On se raccroche à cela pour se dire que tout va bien aller.
• J-M : Il faut aussi qu’elle devienne encore plus autonome. Cette compétition, sans ses parents, peut aussi être un bien pour elle.

Nadine et Jean-Marie : les parents de Carla ont beaucoup, beaucoup sacrifié pour rendre leur fille heureuse et épanouie. Avant, mais aussi une fois la gloire arrivée grâce à la natation. Parents “courage“ qui tiennent aussi leur part dans la carrière de leur fille…

 

♦ Revenons au tout début du commencement de sa vie. Comment avez-vous appris le handicap de Carla (*) ?

• N : Le jour de sa naissance, nous ne savions rien avant… Quelques minutes après qu’elle soit née, on me l’a enlevée. Puis on m’a demandé si je l’avais bien regardée avant de me la ramener.
• J-M : J’ai de suite compris pour ma part.
• N : À cette époque, il n’y avait pas de dépistage prénatal de la maladie comme aujourd’hui. Au début, je l’ai rejetée. Mais bien vite, je l’ai acceptée, c’était mon bébé. Mon beau-frère me sait très curieuse, il m’a offert un livre sur la Trisomie. De suite, nous avons décidé de faire tout ce qu’il était possible de faire pour que Carla ait les meilleurs atouts pour sa vie future. À trois mois, elle commençait le kiné. À quatre, l’orthophoniste.

 

♦ Ç’a dû être un réel bouleversement de vie ?

• N : Effectivement. J’étais assistance juridique, j’ai arrêté de travailler pour m’occuper de Carla, pour la faire travailler, l’aider à la stimuler. Ces premières années sont essentielles, pour le langage, le développement corporel, etc.
• J-M : Carla n’a pas eu d’enfance, elle était tout le temps dans le scolaire, l’apprentissage. Mais il ne fallait pas lâcher.
• N : Aujourd’hui, Carla est autonome. Elle aime beaucoup écrire, des messages, des lettres, et c’est surprenant car au final, il y a vraiment peu de fautes, juste quelques-unes de vocabulaire parfois.
• J-M : Aujourd’hui, je suis à la retraite. Mais c’est Carla qui donne le tempo. Je suis à son service, toute notre vie lui est entièrement dédiée, entre kiné, natation, etc.

Alors, soit Xavier (Le Draoullec) a anticipé (pour ne pas dire volé) le départ, soit Jean-Yves Gabrièle va devoir faire travailler ses temps de réaction à Carla…

Une Amséliste de toujours…

 

♦ Quelle place a eu le sport dans sa vie ?

• N : Comme toutes les petites filles, elle a fait de la danse. Elle skie plutôt bien aussi. Elle a fait de l’escalade à l’école…

 

♦ Et la natation ?

• N : Comme beaucoup, nous l’y avons mise par sécurité, pour qu’elle sache nager d’autant que nous vivons au bord de la mer. Mais dès son plus jeune âge de toute façon, elle était inscrite aux bébés nageurs. C’est une Amséliste de la première heure. Sa grand-mère avait une maison avec piscine aussi…
• J-M : Elle a réellement commencé la natation vers 7 ans. Elle se débrouillait pas mal, était plutôt à l’aise.
Un jour, Jean-Yves – Gabrièle, aujourd’hui devenu son entraîneur, après la parenthèse de quelques saisons avec Manuel Comas. Ndlr – a proposé qu’elle passe des tests. Et il nous a dit, “elle se débrouille bien, et surtout, elle est à l’écoute et elle comprend et applique ce qu’on lui demande“.
• N : Mais la Trisomie 21 et la natation pour les sujets atteints concernent le sport adapté et non le handisport. Alors, il fallait aller à Cannes, c’était trop loin. Nous avons failli abandonner…

 

Jean-Yves, Marie-Hélène : l’écoute attentive

 

♦ Mais ?…

• N : C’est Marie-Hélène Dimitroff, alors présidente de la section natation à l’AMSLF qui a pris les choses en main. Elle nous a dit qu’on allait essayer de faire quelque chose à Fréjus. Ils ont pris quelqu’un (Manuel Comas) pour l’entraîner, en fait, l’AMSLF a toujours été à nos côtés, il nous faut vraiment remercier Marie-Hélène.
• J-M : En fait, nous avons toujours eu la bonne personne au bon moment. Quand quelque chose n’allait plus, quand nous ne voyions pas de solution, nous avons toujours eu cette chance de tomber sur la bonne personne, sur l’AMSLF, sur la Mairie… Nous avons toujours eu une oreille attentive à nos problèmes.

La “garde rapprochée“ de la championne : autour de ses parents, Jean-Yves Gabrièle, Raphaël, Émilie Corgnac et Xavier le Draoullec (manque ici Franck Bis, le “patron“ de la piscine Maurice-Giuge… et de Carla)

« Je ne pensais pas que je pouvais intéresser les autres »

 

♦ Le déclic, les premiers titres sont arrivés quand ?

• J-M : En 2014, sur les championnats du Var à Toulon. Puis 2015, elle est devenue championne régionale. Les messages d’encouragements, de félicitations ont commencé à arriver…
• N : Un jour, elle a pleuré, elle m’a dit, “je ne pensais pas que je pouvais autant intéresser les gens“. Rien que ça, c’est un des énormes bienfaits de la natation…

 

♦ Du coup, quel rapport a-t-elle avec son handicap ? Elle sait qu’elle est trisomique ?

• J-M : Oui, elle le sait. Au départ, son handicap, elle le refusait, elle n’en parlait pas. Mais aujourd’hui, elle sait que, grâce à la Trisomie, elle fait de la compétition au plus haut niveau international. Elle est au Pôle France T21, à Vichy (à Poitiers auparavant…).
• N : Elle y est quatre à cinq fois dans l’année, pour des stages, elle y a rencontré son petit ami, Raphaël, lui aussi Trisomique. Il est un plus âgé (30 ans), habite à Nice avec sa famille, et ils se complètent parfaitement. Autant lui est toujours, immédiatement à l’aise, volubile. Autant Carla est plus sur la réserve.

L’amour et la complicité avec son amoureux, Raphaël

De Carla la Trisomique à Carla la nageuse !

 

♦ Quelle est la vie de Carla, aujourd’hui athlète de haut niveau ?

• J-M : Elle a effectivement le statut d’athlète de haut niveau, depuis 2017, après sa médaille mondiale (bronze) aux Trisome Games en 2016. En fait, pour conserver ce statut, il faut faire une finale mondiale dans l’année, être dans les huit.
Sa vie, aujourd’hui, c’est à la piscine Maurice-Giuge. Elle y travaille, grâce encore une fois à la municipalité (20h/semaine), elle s’y entraîne, passant 9h-10h dans l’eau.
Aujourd’hui, elle est devenue nageuse. On est passé de Carla Trisomique à Carla nageuse.

♦ Tout va pour le mieux alors ?

• N : Oui, mais cela ne nous empêche pas d’être stressés et d’être très déçus de ne pouvoir accompagner Carla sur cette compétition en Italie. Mais, encore une fois, c’est une nouvelle étape dans sa vie, dans sa quête d’autonomie. D’autant que peut-être plus tard, elle pourrait emménager avec son petit ami. Après, quand ils sont tous les deux à Nice, ils savent déjà très bien se débrouiller… »

 

Et puis Carla se sait parfaitement entourée, par ses parents, sa sœur Camille (une première fille de son papa, aujourd’hui prothésiste ongulaire  -> on comprend mieux les ongles toujours parfaitement préparés pour Carla, souvent en bleu-blanc-rouge d’ailleurs…), son autre “sœur“, Justine Byra, nageuse et photographe (à qui l’on doit les superbes clichés sous-marins qui accompagnent cet article, Ndlr), ses fidèles partenaires d’entraînement Émilie Corgnac Dumont et Xavier Le Draoullec, son coach Jean-Yves Gabrièle, capable de se mettre en quatre pour Carla et qui trouvera toujours la bonne solution pour sa naïade…

Oui, Carla Rapicano, porteuse de Trisomie 21, est aujourd’hui heureuse comme un poisson dans l’eau !

 


(*) Entretien réalisé à Maurice-Giuge le 23 septembre

(**) Carla est atteinte de Trisomie 21, maladie génétique résultant d’une anomalie chromosomique, manifestée par la présence de trois chromosomes 21 contre deux normalement. L’être humain possède 46 chromosomes, organisés en 23 paires. La présence de ce chromosome supplémentaire déséquilibre l’ensemble du fonctionnement du génome et donc de l’organisme.


Suivez l’actualité de Carla Rapicano (et notamment ses performances sur les European Trisome Games de Ferrara) sur sa page Facebook -> https://www.facebook.com/carlarapicano


L’AMSLF remercie très chaleureusement Justine Byra pour le prêt des magnifiques photos sous-marines de Carla. Retrouvez plein d’autres photos de Carla (mais pas que…) sur la pafe Facebbok de Justine -> https://www.facebook.com/JustineByra